mercredi 30 octobre 2013

Echelle... de valeurs (18 septembre 2012)

Voilà, nous revenons d’Annecy. C’est beau Annecy, c’est même très beau. Nous y sommes allés pour jouer La mastication des morts, de Patrick Kermann, (pour la 26ème fois) dans le cadre du III° Festival « Sur un Plateau », évènement organisé par l’association Artissimo. C’est beau Annecy ! Un joyeux festival, totalement décomplexé, minutieusement préparé par une bande de « théâtreux » comme on les aime : humbles avant tout, humains, drôles, vifs, généreux, ouverts et… rouges-banane !

C’est beau Annecy !

C’est d’autant plus beau, Annecy, qu’on a failli la manquer. A cause d’une misérable échelle, à cause d’une misérable salle de spectacle vieillotte, pour ne pas dire d’un autre âge. Une piteuse salle comme on en voit beaucoup. Polyvalente, comme on dit. Tellement polyvalente qu’on n’a absolument pas envie d’y foutre les pieds. Polyvalente, donc moche (en plus !) Polyvalente et sans équipement (pour que ce soit encore plus polyvalent ?!) Deux ou trois projecteurs moyennâgeux, des rideaux caca d’oie hideux, et aucun régisseur ou responsable pour faire vivre cette sale salle. La polyvalence ne donne décidément pas envie ! Et nous arrivons là, par une belle journée de juillet, enthousiastes, toujours, prêts à tout pour que le spectacle soit une réussite incontestable. Mais la polyvalence, ça casse aussi énormément l’enthousiasme, justement. A plus forte raison quand les hôtes, même s’ils sont de bonne volonté, incontestablement, vous laissent vous dépatouiller avec le rien, avec le néant. Alors on prend l’échelle, cette funeste échelle, pour monter tout là-haut régler ces maudits projos aux lampes grillées. C’est haut 7 mètres, très haut ! Enfin, tant bien que mal, on parvient au réglage du dernier… et là, catastrophe, cette putain d’échelle ripe des pieds, glisse d’un seul coup et c’est la chute ! De 7 mètres ! C’est haut 7 mètres ! De la scène, je vois Michel s’écraser au sol en criant ! L’horreur !! On se précipite auprès de lui, terrifiés ! Il grimace de multiples douleurs au dos, aux fesses, aux pieds, aux jambes, mais il vit, il bouge, il respire, il parle ! C’est un miracle ! Les pompiers arrivent immédiatement et l’emmènent très vite et très précautionneusement à l’hôpital de la ville. Nous sommes effondrés ! Effondrés et scandalisés par ces salles immondes délaissées par les instances municipales qui se foutent éperdument de la culture en général et du théâtre en particulier, et à plus forte raison quand celui-ci est labellisé « amateur » ! Polyvalence, polytraumatismes !
On annule évidemment la représentation. Nous qui devions ouvrir ce festival, nous nous retrouvons à plier décors et bagages, en attendant, fébriles, des nouvelles de l’hôpital.
Et enfin, Isabelle nous appelle et nous informe que Michel n’a rien de cassé, qu’il n’a que des multiples contusions, qu’il ne peut ni marcher ni se tenir debout mais qu’il n’y a rien de grave selon l’hôpital. Oui, un miracle.
C’était le 23 juillet. Un mois et demi avant Annecy.

C’est beau Annecy !

Mais allions-nous pouvoir nous y rendre ? Est-ce que Michel, alité la majeure partie du mois d’août, serait en mesure de jouer ? Rien n’était moins sûr. Devions-nous prévenir Artissimo d’une probable défection, alors que la promo du festival battait son plein ! Cruel dilemme !
Puis Michel est revenu de sa convalescence, plus ou moins en état, mais avec des douleurs dorsales lancinantes et une claudication pénible. Mais le bonhomme n’est pas du genre à se laisser abattre ! C’est le moins qu’on puisse dire ! Banco pour Annecy !

C’est beau Annecy ! 
C’est beau de vrais organisateurs de festivals, compétents, investis, impliqués ! Annecy, ça n’aura été que du bonheur ! Des rencontres inoubliables, des échanges chaleureux, des retrouvailles aussi ! Une ambiance chaleureuse, complice, entre troupes, entre troupes et organisateurs… Oui, que du bonheur !

C’est beau Annecy !

C’est beau un maire d’une ville de 50.000 habitants qui a une considération pour le théâtre, pour le théâtre amateur ! Un maire qui nous reçoit sous les ors de sa belle mairie pour saluer ce festival de théâtre amateur. « Sur un plateau » !
C’est trop rare pour ne pas être souligné. Un maire qui est très attentif à ses échelles… de valeurs ! ça rassure !

C’est beau Annecy !

Même quand rien n’est simple, comme par exemple quand notre régisseur Diarra est dans l’impossibilité de se libérer pour nous accompagner. Encore un obstacle. Mais un obstacle vite contourné par Cécile, Luciano, Gilles et les autres, qui nous garantissent que notre régie sera effectuée par quelqu’un de chez eux. Nous sommes évidemment un peu anxieux, avouons-le ; une régie, ce n’est jamais simple quand on ignore tout de la pièce jouée ! Et tellement important, tellement vital pour le spectacle ! Oui, nous avons un peu peur, c’est indéniable. Le régisseur qui officie à la salle Pierre Lamy, un certain Eric, vient nous rencontrer la veille, nous disant qu’il n’aime pas trop faire ce genre de boulots, d’autant plus qu’en la matière, il a vécu de fâcheuses expériences. On discute, on parlemente, on tente de le rassurer, on lui dit qu’on simplifiera la conduite… etc. Eric accepte le challenge ! Nous convenons d’un filage technique le samedi avant de jouer, une fois que tout serait réglé.
A l’heure convenue, le lendemain, nous installons nos décors et commençons à régler les projecteurs avec Eric, régisseur précis, dévoué, compétent et… providentiel ! Tout se passe le mieux du monde, y compris ce fameux filage technique. Nous n’avons pas besoin de nous étendre des heures pour expliquer nos effets : Eric comprend tout très vite et nous révèle, là encore, toute sa compétence en matière de spectacle. Mais bon, tant que la pièce n’est pas joué, on demeure réservé, c’est humain.

C’est beau Annecy !

C’est beau une salle encore vide dont la quasi-totalité des fauteuils arborent de petits autocollants indiquant les places réservées ! C’est grandiose ! ça donne le trac et c’est délicieux !

C’est beau Annecy !

C’est beau une salle pleine à craquer et un public qui réagit au quart de tour ! C’est beau, c’est art… issimo !! Les premières scènes s’enchainent et force est de constater que « notre » régisseur s’en sort comme un chef ! Qu’il est DANS le spectacle, qu’il est AVEC nous !! Génial !! ça roule, ça percute, ça remue… Nous savourons ces incomparables moments de bonheurs absolus à être sur scène face à un public si présent, si nombreux, si…, si… les mots nous manquent !

C’est beau Annecy !

Le salut arrive et nous sommes heureux de voir ce public lui-même heureux de notre prestation : suprême récompense ! Et Eric a tout simplement été … royal !
Je ne peux évidemment pas m’empêcher de lui rendre
hommage durant ce salut, et les autres Encordé(e)s avec moi, en demandant aux spectateurs de se lever, de se tourner vers la régie et d’ovationner Eric pour son superbe travail. C’était bien là la moindre des choses ! Parce qu’au-delà de son incontestable compétence, Eric est un type comme on aimerait en rencontrer beaucoup ! D’une gentillesse et d’un dévouement digne du Théâtre Amateur, celui qu’on aime, celui de ces improbables rencontres, bref, l’incomparable luxe du théâtre amateur !

C’est beau Annecy !

C’est un peu plus haut que les Alpes-de-Haute-Provence, la Haute-Savoie ; ça aurait pu nous effrayer de monter si haut… en cas de chute. Mais non, il y a décidément une certaine échelle de valeurs sur laquelle on se sent vraiment en totale sécurité.

C’est beau Annecy !

Merci Annecy… ssimo !


Yves Guillerault
pour la Compagnie de la Cordée

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